Mission Jobdating - Quil & Piotr

Piotr avait rendez-vous avec un Johnson. Ce fait en lui-même n'avait pas grande chose surprenant ; que Sierra en soit la fixer détonnait un peu plus. Oh, bien sûr, la propriétaire du plus prestigieux bar du Moyen Nexus avait bien de quoi connaître beaucoup de monde et tout le monde a bien besoin d'un petit coup de main à un moment ou un autre. Dans tous les cas ça tombait bien, les Voodoo Boys n'avaient pas de mission particulière à lui confier pour l'instant et il avait besoin d'argent... Ce qui, pour le coup, n'était pas pour changer de ses habitudes -c'est que fabriquer son Kaiju dans son coin, ça demande un paquet de quid.
Ainsi, la magicienne s'était occupée de faire l'entremetteuse entre son mystérieux client et le technomancien. Il n'y avait pas besoin d'en savoir plus pour l'instant ; moins les différentes parties en savent mieux elles se portent. Un ami d'un ami d'un ami a besoin d'un coup de main, et tout est en place pour que la magie opère. Le troll avait indiqué qu'ils pourraient se retrouver dans un cybercafé où il savait que la discrétion était de mise, donné le minimum des informations pour qu'il sache le retrouver (lui donner une description précise de son persona n’aurait pas plus aidé puisqu’il en changeait régulièrement entre deux missions), et maintenant il attendait.

Tout ici criait à l’excès ; les personas de toutes formes qui se déhanchaient sur la piste de danse, la musique du dernier groupe à la mode diffusée plusieurs crans trop forte pour être réellement agréable, les lumières fluo pour seul éclairage dans la pénombre ambiante. Toutes ces choses qui ravissaient ses sens en l’instant présent.

« La même chose que d’habitude. » Commanda-t-il à l’IA qui tenait le bar, tendant quelques jetons de monnaie virtuelle pour contenter son gosier. Accoudé au bar, il scanna la foule du regard. Quelques avatars connus par ici, d’autres nouveaux par là. Au vu de leurs grades, il devina qu’ils étaient de nouveaux habitués. Peut-être qu’il n’était pas revenu ici depuis plus longtemps qu’il le pensait…
Le barman lui tendit finalement une boisson aux reflets bleu électrique, joli contraste sur sa propre peau du soir, dont il s’empara avant de se trouver une table libre. Le filtre de biofeedback faisait un merveilleux travail pour faire croire à son corps qu’il ingurgitait une substance réelle, certaines étaient même conçues pour proposer une défonce telle qu’on ne peut en trouver que dans le cyberespace, bien loin des contraintes du monde de la chair. Mais pas ce soir. Pour l’heure, Ananse Solyme comptait bien garder les idées claires ; c’était que, contre toute attente, il savait bel et bien se montrer professionnel.

Finalement, tandis qu’il arrivait à la moitié de son verre, un visage inconnu s’approcha de lui. Piotr haussa un sourcil à sa question, scrutant son persona des pieds à la tête. En vérité il cherchait à l’apercevoir à travers le filtre de réalité imposé par le cybercafé, scrutait toute trace de résidu matriciel derrière lui. Les corpos étaient les champions pour se croire bien protégés derrière leurs decks haut de gamme mais à laisser des traces d’éléphant dans leur sillage. Apparemment pas le cas ici, du moins sans se risquer à un scan approfondi pour ne pas l’alerter plus qu’il n’était nécessaire le troll ne décelait rien qui sorte de l’ordinaire. Par contre, ça vouvoyait. Dans un endroit pareil, y avait pas meilleur signe d’un néophyte que quelque chose comme ça.
Son examen fini, il échappa un large sourire, un brin exagéré, dévoilant les crocs de prédateur de son persona.

« Y a qu’un paumard pour avoir jamais foutu les pieds là-bas. »

Piotr se releva, laissant ce qu’il restait de son verre derrière lui, et enjoignit le nouveau venu de le suivre d’un bref mouvement de tête avant de se diriger vers une des portes situées au fond du bar. La pièce était éclairée de lumières tamisées, deux canapés rouges séparés par une luxueuse table basse se faisant face. L’ambiance, un peu à l’ancienne, n’avait plus grand-chose à voir avec la salle principale, de laquelle on n’entendait plus que l’outrageuse techno comme un lointain écho.
La « sirène » invita silencieusement son convive à s’asseoir sur un des sièges. Sur la table des boissons fluorescentes servies dans des verres à shot les attendaient, violet à la base et se dégradant en rose à mesure qu’on approchait du fond, une légère fumée se dégageant du dessus. Piotr avala le sien sans hésitation d’une seule gorgée, puis attendit patiemment que son Johnson en fasse de même.
Courtoisie d’une membre des Voodoo Boys, il s’agissait simplement d’un script permettant d’établir un canal sécurisé entre eux deux. Le filtre de réalité permettait de lui faire prendre la forme que l’on souhaitait, et Piotr aurait même pu tout mettre en place lui-même, mais il avait un petit faible pour l’effet dramatique que représentait une action commune. Et puis, ça lui servait également à jauger la réaction de cet inconnu, ce qui n’était jamais un luxe. Les coutumes du cyberespace semblent parfois nébuleuses à ceux qui ne le fréquentent qu’en de rares occasions.
Et le technomancien n’allait certainement pas aborder le moindre sujet sensible tant que leur conversation ne serait pas à l’abris des oreilles indiscrètes.

« Alors Johnson, on m’a dit que tu as besoin de quelques services ? »

Persona de Piotr:

« Bien entendu. »

Répéta Piotr, l'air amusé. C'était pour ça qu'il évitait de rencontrer les Johnson en direct habituellement, danser sur la pointe des pieds autour du sujet c'était pas son truc, trop impatient le troll pour faire un bon négociateur. C'était une situation qui ne lui avait pas vraiment manqué, et soudainement il se rappelait parfaitement pourquoi : son client du soir ne semblait pas disposé à parler facilement.

Il patienta encore quelques instants, faisant traîner le moment pour voir s'il se déciderait à poursuivre la conversation de lui-même. Il attrapa l'air du bout des doigts, une cigarette aux teintes violacées apparaissant du néant, qu’il porta à sa bouche et alluma d’un briquet à la flamme verte. La sirène exhala une première bouffée de fumée, suivie d’une seconde, ses yeux vermillions ne quittant pas l’humain un instant.

Finalement il se releva et, la cigarette coincée entre les doigts, se dirigea vers le bar situé derrière son siège d’où il tira deux verres à whisky à l’allure de très bonne facture, qu’il remplit à moitié d’une boisson aux reflets ambrés.

« Un autre verre Johnson ? » Demanda-t-il tout en retournant à sa place initiale, glissant l’un des deux verres sur la table qui les séparait sans s’inquiéter de sa réponse. « C’est toujours plus agréable de raconter ses malheurs le gosier contenté. »

Il révéla de nouveau ses crocs dans un simulacre de sourire, reprenant place sur son fauteuil comme un prince –une jambe posée sur le genou de l’autre, installé bien confortablement au fond du siège. Il tira une nouvelle bouffée sur sa cigarette, en soufflant la fumée tandis qu’il reprit :

« Alors, je t’écoute, qu’est-ce qui t’amène ici ? »

Piotr observa d’un air qu’il conserva désintéressé, quoique l’œil brillant, les balles qu’alignaient le persona de son client. Il n’avait pas besoin d’attendre qu’il lui explique ce que dissimulait le filtre de réalité, le troll avait déjà repéré la signature caractéristique des "objets". S’il ne lui était pas possible d’en découvrir plus de la sorte à cause de leur chiffrement, à première vue c’était du bel œuvre. Il le soupçonnait déjà, mais ce Johnson n’était définitivement pas un lambda. S’il y avait autant d’argent qu’il le soupçonnait, la thèse du corpo serait plus probable que jamais –maintenant, à savoir laquelle. Certains gangs auraient bien les moyens de mettre en place des conditions similaires, mais il ne croyait pas une seule seconde à cette thèse ; même s’ils avaient eu le besoin d’embaucher un mercenaire pour un job, le mode opératoire ne correspondait pas.
Bah, il aurait bien le temps d’analyser plus en profondeur le chiffrage dans l’espoir de trouver quelques informations juteuses sur sa provenance plus tard.

L’explication du travail qui suivit laissa Ananse Solyme coi quelques instants… avant qu’il ne parte dans un grand éclat de rire, la tête rejetée en arrière et la rangée de dents acérées bien visible. Avec une arrogance pareille, définitivement un corpo.
Pas que ça le dérangeait, il se fichait bien de qui l’employait tant qu’ils allongeaient la monnaie. Mais c’était précisément pour ce genre de situation qu’on passait toujours par un fixer. C’est avide, un Johnson.

« Ecoute-moi beau gosse, Piotr décroisa les jambes et posa ses coudes sur chacune de ses cuisses, la tête appuyée sur ses mains, les yeux plantés dans ceux de son client. On t’a jamais appris qu’c’est malpoli d’menacer les gens sur leur terrain d’jeu ? »

Pour appuyer ses dires, les lumières de la pièce se tamisèrent et plusieurs CI à l’allure d’armures médiévales sortirent des murs. Pas de Noire dans le lot, il ne pourrait pas le blesser physiquement, mais une Trace et trois Grises étaient des menaces assez importantes pour qu’on ne s’amuse habituellement pas à les ignorer. A dire vrai, il n’avait aucune idée de la manière dont ces contre-mesures agiraient sur un technomancien, n’ayant pas besoin de deck pour se connecter au cyberespace, mais les résidus matriciels laissés par l’inconnu lui avaient déjà indiqué que ce n’était heureusement pas son cas.

« Puisque tu sembles l’avoir oublié, c’est moi qui ait le contrôle ici et si tu souhaites repartir intact je te conseille de ne plus me menacer de la sorte. Oui ? »

Et tant pis s’il ne décrochait pas le contrat, le Johnson méritait d’apprendre sa leçon. D’autant plus s’il pensait sincèrement pouvoir le retrouver physiquement. Tyr Inc. n’avait pas retrouvé sa trace depuis des années, ce n’était certainement pas ce pauvre type qui allait lui faire peur. Pas ici.

« Bien, maintenant qu’on a remis les choses au clair… »

La sirène se repositionna au fond de son siège, un coude nonchalamment posé sur le dossier, tandis que les armures reculaient d’un pas et que la luminosité ambiante reprenait son éclairage d’antan.
Il resta pensif quelques instants, avalant de nouvelles bouffées de sa cigarette qui commençait à sérieusement s’amincir.

Tous les drones d’une mégacorpo, rien que ça. La Völva était moins à la pointe technologiquement que ses concurrentes mais ne demeurait pas moins un challenge sérieux. S’il acceptait le boulot, la moitié de son salaire initial (au moins) irait dans les poches d’autres personnes pour l’aider ou lui rendre quelque service en amont.
Ce n’était pas un contrat sérieux… Trop de risques en tous genres pour une compensation finale qui, il en était sûr, ne les vaudrait pas.

Mais depuis quand prenait-il des décisions raisonnables ?

« Ca va d’mander pas mal d’préparation comme job. L’contrôle des drones c’est pas un problème, mais hacker les réseaux d’une mégacorpo c’pas la même paire de manche… parla-t-il dans le vide, plus comme s’il pensait à voix haute qu’en s’adressant au Johnson directement. T’as b’soin des contrôles quand et pour combien d’temps ? »