An old owl calling |Vector

Ca faisait un petit moment que Shin’ichi n’était pas retourné voir Vector. En fait, la dernière fois c’était le runner qui était venu le trouver pour les besoins de sa dernière mission, depuis le détective avait été trop occupé pour faire autre chose que travailler… Non pas que ce soit pour beaucoup changer de ses habitudes. C’avait été un sacré hasard que de retomber sur une vieille connaissance de ses quelques frasques illégales de jeunesse, mais un sur lequel il ne crachait pas. Entre les connaissances de son métier et les contacts qu’il avait pu garder de son précédent poste chez La Völva, une relation basée sur des échanges de bons procédés s’était rapidement mise en place entre les hommes, nourrie par bons les souvenirs des coups précis échangés dans une autre vie.

Et c’était bien pour cette raison que l’ancien policier se rendait au Tengger aujourd’hui ; il avait grand besoin de récupérer sa faveur auprès de quelqu’un qui sache se servir de ses poings.

Dans les faits, c’était une enquête assez lambda. Un jour une mère fait des courses avec sa fille, lui lâche la main le temps de discuter avec le vendeur, et quand elle se retourne la place à ses côtés est encore chaude mais terriblement vide. Passée au commissariat en premier lieu, on n’avait même pas fait semblant de s’intéresser à l’énième cas de disparition d’une mioche de prolétaire qui, en désespoir de cause, s’était finalement tournée vers le détective.
Fort de sa réputation, c’était une énième client avec à peine de quoi le payer. Non, elle n’avait pas de quoi s’offrir ses services. Alors, une fois de plus, il avait accepté de travailler à pertes. Ca le perdrait sûrement un jour, en attendant il n’avait pas quitté la police pour reproduire les vieux travers qui l’avaient poussé à en partir.

Le problème était que l’enquête n’avait pas très bien avancer. La piste était déjà froide lorsque sa cliente était venu lui demander son aide, les bribes d’informations disponibles trop vagues pour lui permettre d’avoir un point de départ fiable. Qu’à cela ne tienne. Il avait des contacts et des faveurs à faire jouer, le temps lui était compté mais il n’était pas dans ses habitudes de se laisser abattre pour si peu.
Pour l’heure, il n’était pas encore certain de l’implication d’un gang (le cas échéant, lequel ?) dans cette affaire mais c’était ce qu’il espérait bien que sa piste lui apprenne. Ce qui posait problème, c’était que ses informations le menaient jusqu’en Avalon et qu’il n’avait pas encore sombré dans l’inconscience au point de s’y rendre seul. Ce qui pouvait commencer comme un règlement de comptes en tête à tête avait tendance à vite dégénérer et prendre le risque de se faire avoir par le nombre ne le tentait pas franchement. C’était sans compter que si un magicien avait le malheur d’être de la fête il était fichu. Un adepte, il pouvait tenir le coup. Au-delà on n’était plus vraiment dans sa zone de compétences.

Ce qui le ramenait à Vector. Un adepte dont il avait déjà pu mesurer les compétences et qui lui devait un service, c’était le candidat parfait. Et c’était pourquoi il se retrouvait actuellement à frapper à sa porte, un air peut-être encore plus sérieux que d’habitude dessiné sur son visage qui rendait ses mouvements plus crispés que d’habitude. Si le runner refusait ou n’était pas disponible, il n’était pas certain vers qui il pourrait se tourner pour demander de l’aide.

Cela faisait déjà plusieurs jour que Vector restait plus ou moins enfermé ou tout du moins qu'il n'avait pas accompli une mission, lors de la dernière il y a environ un mois, Deepali s'était blessée, assez durement du coup, à part quelques petits boulots pour payer les factures, il tournait un peu en rond... Alfrec aidait pas mal aussi, le nombre de personnes ayant besoin d'un bon rigger pour des boulots réglos de maintenance même si pas mal déchantaient un peu en rencontrant le nain bourru et grossier, surtout les richards des beaux quartiers de la ville haute...

Ça n'aurait jamais du se passer comme ça, cette mission aurait du être de la routine pure et simple, certes dangereuse, ça l'est toujours, au moins un peu mais là, c'était très loin de la routine et tout ça à cause de ce connard de corpo qui ne leur avait pas fourni assez de détails sur la cible ou qui n'avait pas été assez discret, va savoir. Toujours est-il qu'une fois arrivé sur place, ce qui devait être un simple vol dans un entrepôt se finit en un fiasco sans nom, ils furent obligés de fuir l'endroit en courant, Deepali s'est pris une balle dans le mollet qui n'a heureusement laissé qu'une blessure profonde mais bénigne, Alfrec a failli se faire détecter et y rester, il s'est heureusement déconnecté juste a temps et seul Vector s'en est bien sorti grâce à ses capacités d'adepte. Bref, un sacré fiasco. Bon, le lot de consolation, c'est qu'ils avaient pu récupérer la cible et qu'ils avaient été payés mais une bonne partie de la prime était partie dans les soins, c'est pas donné les cliniques au noir...

Oui, bien évidement, il était à présent aux petits soins avec sa femme même si celle-ci lui répétait sans cesse qu'elle n'était pas en sucre mais elle ne pouvait pas cacher à Vector les discrètes grimaces de douleur qu'elle s'efforçait de cacher à chaque fois qu'elle faisait un pas. Il lui faudrait malheureusement encore quelques semaines pour se remettre complètement et encore quelques-unes derrière pour la rééducation donc d'après le guérisseur qui l'avait réparée donc pour le groupe, c'était pas de mission sérieuse pendant au moins un mois si ce n'est plus. Vector en venait presque à penser à aller seul en mission pour pouvoir rapporter un peu plus de quids et maintenir ainsi un niveau de finances stable. Mais pour le moment, ce n'était pas encore au programme et Vector devait avant tout se garder en forme et pour ça, rien de tel que de faire un tour dans la seule salle que Alfrec évitait le plus possible, la salle de sport. Alors qu'il était en train de frapper dans un sac de sable, il entendit frapper à la porte, il ne s'en préoccupa pas, il savait bien qu'il y avait suffisamment de monde disponible entre Dee en train de regarder un film sur le canapé et Al sûrement en train de bricoler son drone dans le salon, c'était lui le plus éloigné. Mais peu de temps après avoir entendu jouer le loquet, il entendit la voix rustre du nabot.

"V, c'est pour toi, c'est ton pote le détective, ramène ton cul ici."

Vector ramassa sa serviette et épongea la sueur qui perlait sur son front et son torse couvert d'un marcel blanc à moitié trempé. En entrant dans le salon, Alfrec était juste en train d'inviter Shin à entrer et sa moitié s'était vraisemblablement endormie devant son film...

"Shin, ça faisait sacrément longtemps dis-moi... Vas-y, installe-toi et dis-moi ce qui t'amène. Tu veux un soykaf ? Oh et excuse Alfrec, il est comme ça avec tout le monde, faut pas le prendre mal."

Il tira au passage la couverture sur sa compagne et d'approcha la main tendue vers son ancien partenaire d'arène tout en désignant la table du salon.

La porte s’était ouverte sur le visage inconnu d’un nain, l’air emmerdé de s’être fait interrompre et les mains noires de graisse, qui le dévisagea de haut en bas comme s’il était en train de décider si le détective valait la peine qu’il lui referme la porte au nez ou pas.

« Ouais, c’est pour quoi ?
- Je viens voir Vector. » Devant l’insistance silencieuse du nain, il poursuivit après quelques secondes : « De la part de Shin’ichi, un… vieil ami ? »

Le nain haussa les sourcils à l’air peu assuré dudit Shin’ichi.

« Faudrait savoir, c’est un ami ou c’est pas un ami ?
- Disons qu’il m’a aidé pour quelques enquêtes et que je lui rends l’appareil pour ses… affaires.
- Ha, mais c’est toi l’détective ! Fallait commencer par ça. » Plus détendu, le rigger fit un pas en arrière pour beugler dans la maison : « V, c'est pour toi, c'est ton pote le détective, ramène ton cul ici. »

D’un mouvement de la tête il enjoignit Shin’ichi à entrer, ce qu’il fit merci, avant de retourner sur le drone dont il était en train de s’occuper sans plus se soucier de leur invité. Le détective eut à peine le temps de poser un regard professionnel sur les lieux que l’objet de sa visite apparut devant lui, dérangé en pleine séance de sport à en croire l’était de son débardeur –et l’odeur de sueur qu’il amenait dans son sillon. Un sourire accentuant les rides autour de ses yeux accompagna cette vision, ça faisait longtemps en effet et l’ancien policier n’était pas mécontent de revoir un visage à peu près amical. Son exil dans la Basse, être sur ses gardes en permanence, tout ça lui pesait plus qu’il ne voulait bien se l’admettre.

« Vector, t’as l’air en pleine forme. »

Répondit-il tout en se dirigeant vers le salon à sa suite. Il prit un instant pour observer la pièce, la scrutant minutieusement, enregistrant toutes les informations qui pourraient peut-être s’avérer utiles plus tard. Déformation professionnelle.

« J’ai déjà été plus mal accueilli chez des gens, mais je suis toujours ravi de savoir que ce n’est pas un traitement de faveur qu’on me fait. » Ajouta-t-il d’un air sérieux (quand ne l’était-il pas) qui ne révélait pas la vraie légèreté de ses mots.

Après avoir accepté le soykaf, il attendit patiemment que Vector revienne, observant du coin de l’œil le drone sur lequel le nain –Alfrec– travaillait. Il n’avait pas la moindre idée de ce qu’il pouvait bien y bricoler, mais c’était toujours intéressant à voir.

Lorsque Vector revint avec deux tasses fumantes, Shin’ichi accepta la sienne en le remerciant puis resta interdit quelques instants, cherchant la manière dont il pourrait aborder la raison de sa présence. Trop fier, le Takagi, pour dire précisément l’objet de sa visite : il avait besoin d’un service. D’aide.
Les yeux posés sur la figure endormie sur le canapé, qu’il ne regardait pas réellement, il commença à parler en baissant naturellement la voix pour ne pas risquer de la réveiller :

« Je suis sur une enquête. Une gamine a disparu et sa mère est venue me voir après l’inaction de la police. » Il grimaça légèrement, par honte peut-être, toujours aussi dégoûté qu’à l’époque de constater les dysfonctionnements d’un organisme qu’il avait toujours tenu en si haute estime. « J’ai une piste pour récupérer des informations à ce sujet, mais comme elle est venue tard j’ai peur qu’elle me file entre les doigts si je tarde trop à la suivre. Mes informateurs n’ont pas été très loquace sur ce coup-là et j’ai encore un doute sur l’implication des gangs dans cette affaire… Surtout le Maelström. » Il fit remuer le liquide noirâtre dans son contenant avant d’en prendre une gorgée. L’amertume qui agressait son palais était toujours une distraction bienvenue. Si ce gang était bien responsable du rapt de la petite… Mieux valait ne pas penser à l’état dans lequel elle se trouvait à cette heure. « Je dois me rendre en Avalon pour rencontrer un contact, le problème c’est que je n’ai aucune certitude quant à sa fiabilité, je ne l’ai jamais vu avant. »

Il s’arrêta là pour l’instant, jaugeant déjà la réaction du runner à ces informations.

« Vector, t’as l’air en pleine forme. »  Dit Shin en s’installant à la table du salon pendant que Vector se dirigeait vers le plan de travail pour préparer trois soycafs tout en lui répondant.

« Bah, tu sais ce que c'est, on se refait pas et puis, j'ai pas des implants de partout pour m'aider contrairement à toi. »

« J’ai déjà été plus mal accueilli chez des gens, mais je suis toujours ravi de savoir que ce n’est pas un traitement de faveur qu’on me fait. »

Vector déposa les tasses remplies d'un liquide noirâtre sur la table, tout en répondant à Shin'Ichi.

« Les gens avec lesquels je peux me montrer sous un jour plus amical sont rares dans mon métier alors tu sais, dès que j'en ai l'occasion, je n'hésite pas... Et puis... »
« Mais je t'ai rien demandé moi ! » L'interrompit Alfrec alors qu'il déposait la tasse devant lui.
« Certes, mais tu va me faire la remarque que je ne t'en ai pas préparé à peine je me serais assis, je te connais Al... Vector n'attendit pas la réponse du nain qui ne fut de toute manière qu'un ronflement sonore.[/b]Bref, je disais, pour le coup, je suis sincère, je te considère presque comme un ami et c'est un plaisir. Mais, j'imagine que ce n'est pas une simple visite de politesse... que puis-je pour toi ? »

Il se posa avec sa propre tasse juste en face de l'augmenté et l'écouta avec attention.

Shin lui expliqua rapidement l'objet de sa visite. Vector remarqua la grimace de son ami qui en disait long sur son avis quant à l'efficacité de nos bonnes forces de police, avis que Vector ne pouvait que partager, surtout quand cela concernait les gamins des rues ou de familles qui ne faisaient pas partie de « la haute » et ça, il l'avait lui-même expérimenté bien qu'avec un peu plus de chances que d'autres, il fallait bien l'avouer...
Il ne put cependant pas retenir un rictus à la mention des Maelström, il n’aimait vraiment pas avoir à partie avec ces gens là, la plupart étaient totalement imprévisibles sans compter que malgré ses capacités d'adeptes, la plupart étaient bien plus forts et résistants que lui.
Quand le détective eut finit de parler, il sentit son regard interrogateur, Vector prit la peine de réfléchir un instant pour regrouper toutes les informations et mieux appréhender la situation. Il se doutait bien, et il l'avait bien ressenti dans sa voix que ça lui coûtait quand même au moins un peu de venir demander de l'aide. Il baissa les yeux un instant, comme si le soykaf allait lui donner la bonne réponse sur ce qu'il fallait faire mais rien ne vint, il savait qu'il ne fallait pas foncer tête baissée même si le fait qu'un enfant pourrait être aux mains des Maelström jouait effectivement énormément sur sa corde sensible... Il ne savait pas si le détective le faisait exprès ou pas mais ça n'avait guère d'importance, il n'y avait pas grand chose d'autre à faire mais il fallait aussi la jouer fine...

« Si je marche, je mets une condition, que mon équipe ne soit pas impliquée, de toute manière, Deepali est blessée et je ne tiens pas à infliger Alfrec à d'autres, surtout sans elle. Par contre, avant de te donner une réponse définitive, je vais avoir besoin de plus de détails, surtout si ces salopards de maelström sont impliqués, j'ai eu plusieurs fois maille à partir avec eux et ça ne s'est que trop rarement bien passé. »

Il était déjà quasiment certain d’accepter, sûrement même qu'il irait jusqu'au bout mais il devait vraiment en savoir plus avant de rendre son verdict final même s'il se doutait qu'il ne lui ferait jamais à l'envers, surtout sur ce genre d'affaires.

« Bref, je disais, pour le coup, je suis sincère, je te considère presque comme un ami et c'est un plaisir. »

Si Shin’ichi n’y répondit pas, ce fut plus par pudeur, ou gêne, que parce qu’il ne partageait pas les sentiments de Vector. D’une éducation stricte et plutôt traditionnaliste, il n’avait jamais été habitué à ce que les sentiments soient ouvertement abordés ; encore moins lorsqu’il était question de témoigner de l’affection. Des années passées à consoler des victimes en peine n’avaient pas suffi à ce qu’il apprenne comment y répondre.
Alors il se contenta de hocher la tête, se sentant d’autant plus honteux de risquer d’entraîner l’adepte dans un possible guet-apens.

L’attente d’une réponse sembla interminable, le silence troublé par la respiration calme de la femme endormie sur le canapé et le cliquetis du métal contre le métal provenant des réparations qu’effectuaient Alfrec, feignant de n’être concentré que sur son drone bien qu’il les écoutait avec attention. Shin l’avait vu marquer un bref arrêt dans son travail lorsqu’il avait commencé à parler et froncer des sourcils à la mention du Maëlstrom.
Il écouta ses conditions l’air grave, hochant du chef en même temps qu’il reprenait une gorgée de soykaf. Le détective savait qu’il en demandait beaucoup, et lui-même répugnait habituellement à suivre une piste si vague, il était parfaitement légitime qu’il veuille s’assurer de ne pas impliquer ses proches dans une affaire qui avait déjà toutes les clefs pour salement dégénérer.

« Bien sûr, je ne voulais pas t’en demander tant de toute manière. »

Il baissa la tête, à son tour de chercher des réponses que le breuvage noirâtre refusait de lui donner. Si seulement ça pouvait être aussi simple.

« Malheureusement je ne peux pas t’en dire beaucoup plus tant que je n’ai pas vu mon contact. Comme je te l’ai dit, la piste est très fine et presque froide… Avec un peu de chance il sera assez bavard pour me donner le fin mot de l’histoire. » Il soupira, finit son verre d’une traite puis le posa sur la table basse entre eux. Même faire semblant d’y croire était difficile, il n’y avait que dans les mauvais simsens que ce genre de choses existaient. « Pour l’instant tout ce que je sais c’est que la petite s’appelle Estella et qu’elle s’est faite kidnapper à l’Asgharta il y a quatre jours. C’est déjà long pour commencer à enquêter sur ce genre d’affaires mais la mère a mis du temps avant de venir me voir et il m’en a fallu encore un peu pour rassembler les informations nécessaires. Les Animals ne font pas dans le rapt et les Voodoo Boys n’ont pas de raison d’être liés à ça. Ce qui nous laisse avec le Maelström ou les Mox. » Il se mordit la lèvre, trahissant la gêne que lui procurait l’idée. « La gamine a à peine la dizaine. » Il était de notoriété publique que tous les membres des Mox ne l’étaient pas de leur fait, mais avec cette information supplémentaire il ne savait pas quelle perspective le dégoûtait le plus. « Bien sûr il n’est pas encore complètement exclu qu’il s’agisse d’un acte isolé, mais avec la rencontre prévue en Avalon j’ai peine à y croire. De ce qu’on m’en a dit, la personne qu’on doit y retrouver ne serait affiliée à aucun gang mais on n’est jamais à l’abris d’une surprise et je préfèrerais être prêt si elle arrive. »